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Crise du Covid – 19 au Congo : vers un effondrement de notre société ?

Le Think tank ACC (Ateliers Citoyens du Congo) qui réfléchit sur les défis auxquels doit faire face l'Afrique et plus particulièrement le Congo, nous livre une tribune en guise de signal d’alarme sur la situation sanitaire au Congo-Brazzaville dans un contexte de pandémie lié au Covid 19. Le fondateur de ce laboratoire d’idées, Marien Fauney Ngombé co-signe ce texte avec Larios Mavoungou

Apparu en Chine, précisément dans la ville de Wuhan, autour du 17 novembre 2020, le Coronavirus s’est propagé progressivement dans plusieurs pays et aujourd’hui dans tous les continents. 

Rappelons que l’OMS a prononcé, le 30 janvier 2020, l’état d’urgence de santé publique de portée internationale avant de déclarer, le 11 mars 2020, l’épidémie de Covid-19 de pandémie en demandant aux différents Etats de prendre des mesures de protection essentielles pour prévenir la saturation des services de soins intensifs et de renforcer l’hygiène préventive (communément appelé les gestes barrières). 

Le Congo a recensé son 1er cas, selon la Déclaration du Gouvernement, le 14 mars 2020. Au moment où nous écrivons ces lignes, le Congo a recensé 45 cas confirmés. Mais nous savons tous que les cas confirmés c’est-à-dire testés ne reflètent pas la réalité des porteurs du virus dans un pays. Néanmoins ils permettent de faire des projections sur le risque de propagation du virus. Connaissant la fragilité de notre secteur sanitaire, nous craignons que cette épidémie prenne les proportions que nous voyons dans les autres pays fortement frappés et qui ont un système sanitaire largement au-dessus du nôtre. Dans ces conditions, s’indigner ou s’alarmer ne suffira pas. 

Nous vivons un état d’urgence sanitaire mondial dans lequel chaque pays pense avant tout à préserver ses citoyens de ce virus qui se propage à une vitesse grand V. 

Nous en appelons donc à la plus grande rigueur de la part du Gouvernement dans la gestion de cette crise sanitaire. Il est question de vies humaines. Dans un tel contexte, l’amateurisme, le déni de la réalité et l’opacité ne peuvent pas et ne doivent pas être les gouvernails de l’action politique. 

UNE GESTION DE CRISE INQUIETANTE 

Nous pouvons regretter le fait que les premières mesures annoncées n’ont été qu’un acte de mimétisme vis-à-vis de ce qui s’est fait en Europe sans prise en compte de nos réalités. 

Le Congo n’est pas le seul pays qui, dans la précipitation, a manqué d’inventivité et de réalisme pour proposer des mesures adaptées. Mais nous le disons clairement : il n’est pas trop tard pour faire mieux. 

Nous considérons que l’adresse à la Nation du Chef de l’Etat aurait pu être, dans son principe, une bonne chose. Car il pouvait rassurer la population et surtout donner la vraie vision et la stratégie globale de la gestion de cette crise par le haut sommet de l’appareil étatique. 

Malheureusement les éléments de langage choisis et le caractère brusque et creux de certaines décisions ne pouvaient que produire l’effet inverse. Ce discours a été source d’inquiétude et de panique au sein de la population. 

Nous avons ainsi assisté à un exode des populations des zones urbaines vers les zones rurales. Les bus et autres moyens de transport en commun ont été pris d’assaut pour ce voyage perçu comme la seule solution pour échapper au Covid-19 et aux mesures annoncées. Une situation que les autorités n’ont pas anticipée. Un tel déplacement des populations peut constituer un vrai vecteur de

circulation du virus dans les zones qu’on aurait pu épargner vu l’absence ou l’état défectueux des services de santé qu’on y trouve. 

En matière de santé et particulièrement en situation de pandémie, l’anticipation doit être la règle d’or. Les tâtonnements du Gouvernement, l’absence d’informations précises sur les équipements, le matériel et le personnel mobilisé, sont une source d’inquiétude pour la population. 

Le 1er cas a été déclaré le 14 mars. Il a fallu attendre le 27 mars pour avoir le décret de création du Comité d’experts près du Comité national de la riposte à la pandémie du Covid-19 et le 3 avril 2020 l’arrêté portant nomination des membres du comité d’experts. Pourquoi une telle lenteur ? Sommes-nous vraiment conscients de la gravité de cette pandémie ? 

Au regard des ravages et de la propagation rapide de cette maladie à travers le monde, le Gouvernement aurait pu anticiper cette structuration. Cela aurait eu pour avantage de permettre à ce Comité de travailler plus tôt, de conseiller et orienter les équipes sanitaires et surtout d’éclairer la décision politique. Nous espérons que ce Comité sera à la hauteur des attentes, travaillera en toute indépendance et surtout sera suivi dans ses recommandations. 

Nous invitons donc le Gouvernement à faire connaître à l’ensemble de la population son plan national détaillé de riposte contre cette pandémie. Nous estimons que cette crise du Covid-19 constitue pour les décideurs politiques une opportunité inouïe pour poser les jalons d’une vraie politique de bonne gouvernance et de transparence. 

Ce diptyque bonne gouvernance et transparence, doit être mis en œuvre, d’une part, dans la gestion du matériel acheté ou reçu en dons pour faire face à cette crise, et d’autre part, dans la gestion financière des fonds débloqués par l’Etat ou reçus des acteurs économiques et différents partenaires extérieurs. 

Nous recommandons aux autorités de communiquer, et ce, de façon régulière sur nos capacités matérielles et humaines disponibles dans les hôpitaux référencés pour la prise en charge des malades de Covid-19 (le personnel hospitalier mobilisé, le nombre de masques et de gants disponibles, les quantités de gel hydro- alcooliques, nombre de lits et respirateurs, blouses...). Celles qui sont en cours de mobilisation et les éventuelles projections de ravitaillement. La communication sur l’évolution épidémiologique et les gestes barrières ne suffisent plus. 

Nous avons reçus en don un lot de kits de tests, il est souhaitable que le Gouvernement décline sa politique nationale des tests. Quelle stratégie entend-elle mener ? A-t-il effectué la commande d’autres kits de tests (quelle quantité ?) ou compte -t-il simplement sur les aides extérieures ? 

Ces informations ou précisions sont essentielles pour rassurer les acteurs hospitaliers (médecins, infirmiers, soignants, ambulanciers...) qui sont au premier rang, et donc les plus exposés, dans cette lutte.

UNE REALITE SANITAIRE DEPLORABLE 

Le profil épidémiologique du Congo est caractérisé par un niveau important du taux de morbidité et de mortalité. Le paludisme reste encore notre principal défi avec un taux de mortalité de 42 %. 

Malgré la libéralisation du secteur en 1988, avec une croissance d’établissements sanitaires privés, l’offre de santé reste en deçà de la demande d’une population de plus de 5 millions d’habitants. 

Selon les chiffres officiels, de 2012 à 2015, les dépenses de santé du gouvernement par habitant étaient évaluées de 30 dollars USD. Par contre, le taux d’exécution du budget n’est que de 30%. Dans son document officiel, le PNS (Plan National de Santé) 2018-2030, le gouvernement reconnait ne pas pouvoir expliquer ce faible taux. 

L’état de nos structures de santé laisse à désirer. Le déficit en personnels de santé, le manque récurent de matériels, de médicaments voire de poches de sang sont une réalité connue de tous, sauf des dirigeants. A cela s’ajoute un problème de gouvernance et d’opacité que personne n’ignore. 

Où sont les 12 hôpitaux généraux pour chaque Département ? Comment expliquer que l’hôpital général spécialisé d’Oyo soit aujourd’hui opérationnel alors que ceux construits dans les départements concentrant la majeure partie de la population ne soient pas fonctionnels à ce jour ? 

Ces chiffres et cette réalité permettent de nous rendre compte que le terrain est défavorable pour faire face à la pandémie du Covid 19. 

Il faut le reconnaitre, ce n’est pas en période de crise que nous pourrons mettre à niveau notre système de santé. Mais cette situation sans précédent nous donne l’opportunité d’un nouveau départ. 

UN CHOC ECONOMICO-SOCIAL A VENIR 

Cette crise sanitaire sera suivie inéluctablement d’un choc économique et social. Point n’est besoin de rappeler que depuis quelques années notre pays connait une crise économique profonde ayant bouleversé sa structure macro et micro économique. 

Malgré la course aux aides et aux prêts financiers nous peinons à remonter la pente. La chute spectaculaire du prix du baril du pétrole ne laisse pas entrevoir des lendemains meilleurs pour un pays où plus de 60% des ressources budgétaires proviennent des revenus pétroliers. 

Dans son discours à la Nation le président de la République a annoncé « la création d’un Fonds national de solidarité pour le soutien des entreprises, la compensation des pertes de revenus des actifs et l’aide aux personnes vulnérables ». Une décision certainement encourageante. Mais jusqu’à ce jour nous attendons toujours les précisions du Gouvernement sur les modalités pratiques du fonctionnement de ce fonds et surtout sur sa répartition. Les congolais sont en droit de s’interroger sur les points suivant : 

? Comment sera financé ce fonds national de solidarité ? 

? Quelles sont les entreprises qui en seront bénéficiaires ? Sur quelle base et proportion ? Sous quelle forme ? Suspension ou réduction d’impôts et cotisations ? Renforcement de trésorerie ? 

? Pour les actifs, s’agit-il du maintien des salaires ? A quel pourcentage ? Pendant combien de 

temps ? 

? Quid de l’aide aux personnes vulnérables ? Que faut-il entendre par personne vulnérable dans ce contexte ? Quel est l’outil d’identification de ces personnes ? Par quels moyens percevront-elles cette aide ? Et quelle en sera la nature ? Financière ? Alimentaire ? 

? Comment le Gouvernement entend-il aider les personnes qui exercent leurs activités dans le 

secteur informel ? 

? Que dire des femmes et des hommes qui vendent dans nos marchés se nourrissant et nourrissant leurs familles au jour le jour et qui vont subir les mesures de confinement comme un coup d’arrêt à leur activité ? 

Connaissant la réalité économique et sociale de notre pays, nous savons très bien que le confinement voulu par le Président a de fortes chances d’être un échec cuisant. 

Pour rendre le confinement efficace, le Gouvernement envisage-t-il d’assurer la distribution des denrées alimentaires de premières nécessités aux familles ? Entend-t-il mobiliser les moyens pour assurer la distribution d’eau dans des zones privées de cette matière précieuse? 

UNE GESTION SÉCURITAIRE A RISQUE 

Nous alertons les autorités sur les risques de bavures et par conséquent des atteintes aux droits humains garantis par notre Constitution de la part de nos forces de l’ordre en cette période très difficile pour la population. Il est vrai que le président de la République les a exhortées au respect « sans faille » de l’ensemble des décisions qu’il a annoncées. Mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il a omis de leur préciser de le faire dans le strict respect des lois et règlements encadrant leur action vu la culture de la gâchette ou de la matraque facile qu’elles ont développée. 

Il est donc impérieux que les responsables des forces de l’ordre s’assurent que les ordres de mission sont et seront exécutés à la lettre et que toute bavure fera l’objet des sanctions les plus fermes. Cependant, ce genre de situation peut entrainer une augmentation de l’insécurité. Sur ce point, les forces de l’ordre doivent être intraitables. 

NECESSITE DE REPENSER NOS PARADIGMES APRES LA CRISE 

Rappelons, avec Mireille Delmas-Marty, que « Si les crises sont révélatrices, elles ne sont pas pour autant transformatrices. Pour qu’elles le deviennent, il faut y puiser l’énergie qui permet le renouvellement et inspire l’innovation ». 

Nous avons privilégié ces dernières années des investissements massifs dans les grandes infrastructures routières, aéroportuaires, portuaires, bâtiments publics (palais présidentiel, ministères, préfectures, stades...). Toutes ces infrastructures sont sorties de terre comme des champignons. Ce qui a priori n’est pas une mauvaise chose pour le développement du pays. Mais il eut été préférable de prioriser les infrastructures assurant le bien être ou l’épanouissement de l’humain ou du moins de faire les deux parallèlement avec le même rendement. Malheureusement tel n’a pas été le choix des décideurs politiques. Nul n’est capable, aujourd’hui, de dire aux Congolais les bienfaits de la municipalisation accélérée sur le plan de la santé, de l’éducation, de la culture et du bien-être social. 

Une fois cette crise passée, car elle passera, même si nous ne savons dans quel état sera le Congo, il va falloir se réinventer pour qu’elle soit transformatrice. 

Nous allons devoir changer notre méthode de gouverner notamment en matière de santé et d’éducation. La méthode pyramidale ou centralisée doit être enterrée. Elle doit laisser la place à la gestion de proximité. Ce qui revient à dire que la loi sur la décentralisation doit sortir du symbole et des discours pour devenir une réalité palpable. Réinventer notre système de santé d’un point de vue organisationnel, structurel, de budget et de financement. Il faudrait renforcer le maillage national d’infrastructures médicales ce qui revient à revoir notre carte sanitaire et surtout former du personnel quantitativement et qualitativement. 

Nous allons aussi devoir changer notre manière d’établir nos politiques et priorités d’investissements. Il va falloir identifier les priorités réelles des populations et non les désirs ou les caprices des gouvernants. Instituer et développer une culture de l’évaluation, de la responsabilité et de la sanction. 

Car ne nous trompons pas, nous attendons de nos gouvernements un système de santé qui garantisse la prise en charge des plus vulnérables. Un système éducatif qui permettra de former le médecin, l’ingénieur, l’enseignant de demain. Il faudra investir dans la recherche. Cette crise nous amènera indubitablement à se poser des questions sur la pharmacopée de notre médecine dite traditionnelle. 

Le changement de paradigmes ne doit pas être un slogan. C’est une réflexion de fond dans tous les domaines qu’il va falloir mener en mobilisant les différentes compétences sans exclusion. 

Pour qu’il en soit ainsi, nos autorités doivent faire preuve d’humilité et renoncer à la culture du déni de la réalité et de tout politiser. 

Marien Fauney NGOMBE et Larios MAVOUNGOU 

 

 


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