Chroniques


AfriqueAnalyse Politique

Pourquoi le G5 Sahel est-il une escroquerie ?

Présenté comme la solution à l’instabilité sécuritaire dont souffrent les pays francophones sahéliens, ce dispositif de coopération militaire porte les germes de son échec.

Créé le 16 février 2014, le G5S (encore appelé le G5 Sahel), regroupe cinq Etats sahéliens : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad, dans un cadre institutionnel de coordination et de suivi pour lutter contre les mouvements terroristes et djihadistes qui ont élu domicile à leurs frontières. Des frontières insuffisamment étanches pour retenir ces mouvements dans leurs actions barbares. Comme l’indiquait très à propos le chanteur de reggae ivoirien Tiken Jah Fakoly, qui vit au Mali, Ils ont partagé le monde.

Une aventure militaire française

Quand la France a choisi d’intervenir militairement au Mali, pour empêcher que les troupes djihadistes, qui occupaient le nord du pays n’étendent leur zone de contrôle à l’intégralité du territoire, tout le monde a salué cette opération. Elle s’inscrivait dans le cadre des accords de défense signés par les deux pays. La France pouvait trouver des prétextes pour ne pas le faire. Pourtant, elle a tout mis en oeuvre pour porter assistance à ce pays qu’elle a colonisé, et qui est indépendant depuis 1960. Le président François Hollande, à travers l’opération Serval (janvier 2013 – juillet 2014), a évité au Mali de devenir l’Irak de l’Afrique de l’Ouest. Les salafistes n’ont pas réussi à transformer le Mali en califat. Les villes du Nord du Mali qu’ils contrôlaient sont partiellement libérées. Dans le même temps, le Mali n’a pas réussi à restaurer son intégrité territoriale sur l’ensemble de sa partie septentrionnale. La mission française n’est donc que partiellement réussie.

Les remords du génocide des Tutsi en fond

S’il n’y avait pas eu le génocide des Tutsi au Rwanda, et des interrogations, voire des accusations, quant au rôle des militaires français pendant cette période sombre de l’histoire du pays de Paul Kagamé, peut-être que les troupes françaises se seraient retirées du pays à la fin de l’opération Serval. Il se trouve que le génocide des Tutsi a eu lieu. L’armée française n’a pas pu/su l’empêcher. Dans le contexte malien, la France a voulu éviter un nouveau génocide. Les tribus Touareg du Nord du Mali sont considérées, par les autres Maliens, comme les personnes par lesquelles la partition et l’occupation partielle de leur pays s’est produite. Ce sont ces mêmes tribus Touareg qui ont permis à la France d’obtenir la libération de ses ressortissants otages au Sahel. C’est probablement pour ne pas livrer ces tribus à la vindicte de leurs compatriotes du Sud, que la France a prolongé sa mission au Mali, en en changeant la dénomination, ainsi que le périmètre d’intervention. Serval est devenue Barkhane. Son périmètre d’action a été élargi aux pays francophones d’Afrique de l’Ouest. C’est à partir de ce moment précis que la dimension vertueuse de l’intervention française a perdu toute sa pertinence et toute sa crédibilité.

Des Harki aux Touareg

La France de Charles de Gaulle avait abandonné ses supplétifs Harki en quittant l’Algérie. Celle de François Hollande a protégé les Touareg au Nord du Mali. Tout cela pour tenir les engagements pris par Nicolas Sarkozy pour renverser Mouammar Khadafi. Celui-là même auquel il avait fait la danse du ventre quelques mois plus tôt, afin qu’il achète de l’armement français. A l’époque, la seule qui avait montré une certaine forme de dignité de l’Etat français face au Guide libyen, c’est Rama Yade. Autant Serval avait été déployée pour protéger le Mali, autant Barkhane ressemble étrangement à une opération pour protéger les intérêts français dans le Sahel. D’où le montage qui a donné naissance au G5S. Pendant de nombreuses années, l’Amérique a été critiquée pour l’unilatéralisme et l’interventionnisme dont elle se drapait pour gérer les conflits du monde. Les Américains s’étaient autoproclamés gendarmes du monde, et l’un des pays qui critiquaient, à juste titre, cette façon de procéder, c’était la France. Elle l’a notamment fait dans un discours de son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, à la tribune des Nations Unies. un certain 14 février 2003.

Les Américains grands seigneurs

En critiquant l’option militaire des Etats-Unis d’Amérique en Irak, la France avait refusé de faire la guerre aux côtés des troupes américaines. Plusieurs années plus tard, ce sont les Américains qui prennent la France en flagrant délit d’intervention unilatérale, sous le couvert des Nations Unies et du G5S. Contrairement à la France qui n’avait apporté aucun soutien aux soldats américains, le pays de l’Oncle Sam apporte un soutien logistique à l’armée française. Il a même contribué au financement du G5 Sahel. Une façon de montrer sa bonne volonté sur le fond du combat à mener contre les forces obscurantistes, quand bien même Washington n’est pas d’accord avec la forme. Bien qu’il soit trop tôt pour en juger, le dispositif appelé G5 Sahel ressemble au mieux à une greffe qui aura beaucoup de mal à prendre. Au pire, ce serait une vraie escroquerie intellectuelle utilisée par la France dans un triple objectif : protéger ses intérêts stratégiques dans le Sahel et le Sahara, écouler ses stocks d’armes obsolètes, essayer de nouvelles armes à peu de frais et, accessoirement, exercer une forme de paternalisme sur ses anciennes possessions coloniales tentées de lui faire des infidélités avec d’autres acteurs du commerce mondial des armes.

Philantropie militaire française

Le général Charles de Gaulle considérait que les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Si l’intérêt de la France n’était pas d’intervenir au Sahel et d’y rester pour ses propres intérêts stratégiques, pourquoi y resterait-elle encore ? Cette intervention lui coûte cher en vies humaines, en matériel militaire, et en argent. De l’argent dont manque l’état-major des armées françaises pour assurer ses missions régaliennes. Mais que le président Emmanuel Macron prend son bâton de pèlerin pour aller chercher auprès de ses partenaires de l’OTAN et du Golfe persique pour des pays qui certes furent des colonies françaises, mais sont souverains depuis bientôt soixante ans. Qu’est-ce qui peut justifier cette générosité dans laquelle la France ressemble au partenaire sexuel de la mante religieuse, incarnée ici par les pays du G5 Sahel ?

Son intervention complique l’implication de pays comme le Maroc et l’Algérie dans cette crise où l’une (l’Algérie a l’expertise militaire) et l’autre (le Maroc a un intérêt diplomatique de sécuriser une zone dans laquelle elle a beaucoup investi et dont elle veut rejoindre l’organisation régionale).

Renforcer les capacités africaines

L’on ne le dira jamais assez, cette guerre dans le Sahel est une conséquence de l’intervention de la France et de ses partenaires de l’OTAN en Libye pour renverser Mouammar Khadafi. Ils ont pactisé avec le diable, l’ont armé et lui ont permis d’acquérir une capacité de nuisance dont Africains d’abord, Français et autres Occidentaux ensuite font aujourd’hui les frais. Elle n’est donc pas embourbée dans une guerre au Sahel. Elle assure le service après-vente d’une guerre qu’elle a menée sans consulter, ni associer les Africains. Si l’on rappelle que les armées d’Afrique francophone avaient, jusqu’à la fin de la guerre froide, pour vocation principale la répression des opposants politiques et de toutes les forces progressistes et qu’elles pouvaient compter sur la France pour les contenir quand celles-ci devenaient trop fortes pour elles, il n’est guère surprenant que ces armées soient dépourvues face à des menaces nouvelles. Par ailleurs, dans le cas spécifique du Burkina Faso, le président Blaise Compaoré s’est comporté, pendant les 27 années qu’il a passées à la tête du pays, en pompier pyromane de la sécurité dans l’espace CEDEAO. Les acteurs et les victimes se connaissent parfaitement. Y aurait-il une incongruité à les laisser directement gérer leurs crises, comme l’ont fait la France, l’Espagne, l’Italie ou encore les Etats-Unis quand ils ont subi des attaques terroristes sur leurs sols ? S’il n’y a pas eu besoin de monter un G5 Europe, pourquoi le besoin de créer un G5S est-il ressenti par la France qui en est aujourd’hui le VRP de luxe ?

Louis Keumayou

Twitter : @keumayou



Chroniques