Chroniques


RD Congo

RDC: La mort d’Étienne Tshisekedi et l’énigme de la lettre

Depuis l’annonce du décès de Monsieur Étienne Tshisekedi, président de l’UDPS et du Conseil des sages du Rassemblement de l’opposition (RASSOP), elle ne cesse de faire parler d’elle. Comme le mythe entourant la plus belle fille du quartier possédant trois seins et que personne n’a jamais vu, elle suscite débats et interrogations.

Existe-t-elle vraiment? Avant de regagner la Belgique, Étienne Tshisekedi a-t-il réellement laissé une lettre contenant le nom du futur Premier ministre à l’attention du président Joseph Kabila ? Du côté du Rassemblement, Pierre Lumbi, président du G7, confirme l’existence du courrier déposé, selon lui, à la CENCO : « Le président Etienne Tshisekedi, avant de voyager, a confié à moi-même et à l’abbé Théo qui était son secrétaire particulier, une lettre que l’on a déposée à la CENCO et que l’on a remise en main propre au président Utembi en présence de monsieur l’abbé Nshole ». Du côté des évêques, on s’est d’abord tu, avant de confirmer, au cours d’une conférence de presse, le 24 février, à Kinshasa, l’existence de la correspondance adressée à Joseph Kabila par M. Tshisekedi. Selon l’abbé Donatien Nshole, la fameuse lettre aurait été déposée au bureau de la CENCO, le 17 janvier 2017.

Information immédiatement et catégoriquement contestée par l’un des signataires de l’acte de Genval, M. Raphaël Katebe Katoto. « L’histoire de la lettre d’Etienne Tshisekedi est fausse » affirme-t-il en effet lors d’un point de presse, à l’hôtel du fleuve, à Kinshasa. Selon lui, Tshisekedi « n’a jamais parlé d’un candidat unique, même pas de son fils », et n’a jamais laissé de lettre. « Il ne m’a jamais parlé de cette lettre » dit-il d’un ton ferme.

La sortie de M. Katoto a fait l’effet d’une bombe. Qui du tandem « CENCO-Lumbi-Felix » et de Katebe Katoto dit la vérité sur cette histoire ? Difficile de le savoir. Dans certains salons, on se pose des questions. Si pour les proches du tandem Lumbi-Felix, l’existence de cette lettre désignant le fils Tshisekedi comme le prochain premier ministre ne fait l’ombre d’aucun doute, du côté des détracteurs, il s’agirait en tout cas d’un faux. Certains observateurs étrangers se posent par ailleurs des questions : « Étienne Tshisekedi aurait-il désigné son fils de cette manière, sur le dos des autres membres du RASSOP? » s’interroge un fin connaisseur des affaires politiques congolaises attaché à une chancellerie occidentale. Du côté de l’UDPS, on doute que M. Etienne Tshisekedi ait laissé «secrètement» une lettre à M. Pierre Lumbi. « Même s’il avait réussi à réunir tout le monde au sein du RASSOP, le président Tshisekedi n’était pas assez naïf pour ne pas savoir que le G7 est une émanation du pouvoir. Pour vous dire vrai, il s’en méfiait. Je le vois mal laisser une telle charge à un Pierre Lumbi» fait observer un très proche collaborateur du vieux Tshitshi. Et un diplomate africain ayant suivi de près les péripéties entourant le premier dialogue, celui de la cité de l’Union africaine, de lâcher : « Les Congolais sont surprenants […] Après le dialogue, c’est maintenant la lettre. M. Étienne Tshisekedi était un homme compliqué. Je me rappelle encore des discussions que nous avions avec M. E. Kodjo à son sujet. […] Le facilitateur a eu beaucoup de mal avec lui. Je vois mal cet homme coriace “comploter” en coulisse pour imposer son fils à la primature de la RDC. Il n’avait pas besoin de laisser une lettre à un ancien Kabiliste pour cela. Ce monsieur n’était pas un lâche. Si c’était sa volonté, il l’aurait fait savoir à tous… »

L’histoire de cette lettre n’est pas à négliger. Ce que la résolution de l’énigme entourant cette lettre peut changer, c’est une certaine compréhension des évènements ayant précédé et suivi la mort de M. Étienne Tshisekedi. Bien que nous ne privilégiions pas la thèse de l’assassinat qui a circulé un moment, nous sommes tout de même persuadés que la mort du « sphinx » devrait arranger certains individus au sein du RASSOP.

Pour l’heure, nos enquêtes ne nous permettent pas d’affirmer, hors de tout doute raisonnable et malgré la sortie de la CENCO, qu’Etienne Tshisekedi a laissé une lettre désignant son fils Félix comme futur premier ministre. Nous pensons que ceux qui sont au cœur du secret devraient savoir que M. Tshisekedi était en phase terminale, qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre. Ils auraient donc attendu la mort du « vieux » pour brandir cette lettre. Autre interrogation : qui a rédigé cette lettre ? Puisque M. Tshisekedi, affaibli par la maladie, n’était pas capable de le faire lui-même. Oui, qui est la fameuse personne qui a tapé cette fameuse lettre sur ordinateur pour lui?

Nous pensons que l’identité de cet individu doit être dévoilée — s’il existe bien entendu. Est-il proche du tandem Lumbi-Félix ? Une chose nous semble certaine : l’identité de cet individu pourrait lever le voile sur l’identité de ceux qui avaient intérêt à voir Étienne Tshisekedi disparaître de la scène politique congolaise. Raphael Katebe Katoto ne déclare-t-il pas avoir trouvé le «sphinx de Limété» tout seul à l’hôpital, sans aucun membre de sa famille, alors que son état de santé s’était considérablement détérioré ? Depuis la mort de M. Étienne Tshisekedi, des individus sans moralité utilisent son nom, sans égard pour le respect dû aux morts dans la culture bantoue, pour atteindre d’inavouables desseins politiques. Affaire à suivre…

Patrick MBEKO
Géopolitologue et écrivain



Chroniques