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Togo : en attendant une nouvelle rafle de UNIR, l’opposition dans le gouffre

Au Togo, l’opposition est dans l’impasse. Après avoir réussi à mettre en difficulté le pouvoir de Faure Gnassingbé par des mobilisations remarquables entre 2017 et 2018, les opposants sont devenus amorphes. Le pouvoir ayant survécu à la crise sociopolitique d’alors multiplie des initiatives pour verrouiller le paysage politique. C’est dans ce contexte que se préparent des élections régionales devant favoriser la mise en place d’un sénat. 

L'opposition togolaise peine à se relever de son échec constaté depuis la fin de la crise sociopolitique de 2017-2018. Réunis à l’époque au sein de la Coalition des 14 partis politiques de l’opposition (C14), les opposants avaient réussi à ébranler sérieusement le pouvoir de Faure Gnassingbé. 

Mais le mauvais choix stratégique de boycotter les élections législatives de décembre 2018 a poussé dans l’anonymat la majorité des partis politiques les plus en vue de l’opposition. Absents dans le débat parlementaire et rares dans le débat politique en général, les opposants togolais peinent encore à se relever et à s’organiser face au pouvoir qui a repris du poil.

Conflits de leadership

Même la participation de certains leaders à l’élection présidentielle du 22 février 2020 n’a pas changé la donne. Au lieu de combattre M. Gnassingbé lors de cette échéance, les opposants se sont plutôt divisés davantage. La plupart se sont employés à contester la candidature d’Agbeyome Kodjo, désigné par la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), un regroupement de partis politiques et d’organisations de la société civile. Ce regroupement a été fondé à l’initiative de Mgr Philippe Fanoko Kpodzro, archevêque émérite de Lomé, très engagé sur la question de l’alternance politique au sommet de l’Etat togolais.

Cette guéguerre des opposants s’est exacerbée au sortir de l’élection présidentielle de 2020. Pendant que l’ancien Premier ministre, Agbeyome Kodjo, déclaré officiellement 2e avec un peu plus de 19% des voix derrière Faure Gnassingbé (70%), réclamait sa « victoire », d’autres candidats de l’opposition à ce scrutin déclaraient qu’il n’y avait pas de vainqueur. D’autres ont reconnu la victoire de Faure Gnassingbé et étaient même partants pour une collaboration.

L’élection présidentielle de 2020 sera l’objet du déchirement entre les partisans d’Agbeyome Kodjo et ceux de Jean-Pierre Fabre, l’ex-chef de file de l’opposition dont le parti avait indiqué le jour de l’élection présidentielle de 2020 que l’ancien Premier ministre était « en avance » sur le candidat du pouvoir. L’Alliance nationale pour le changement (ANC) faisait référence aux chiffres issus de la centralisation des résultats au niveau de son quartier général.

Le déchirement des opposants s’est également manifesté lors de l’arrestation d’Agbeyome Kodjo, qui s’était auto-proclamé président élu et de certains leaders de la Dynamique Monseigneur Kpodzro. Certains condamnaient la démarche du pouvoir, invitant Faure Gnassingbé à ouvrir un dialogue pour régler une affaire électorale. D’autres opposants et les plus en vue souhaitaient que le candidat arrivé officiellement 2e soit traduit devant la justice pour avoir contesté les résultats de l’élection, « dans le respect de ses droits ».

Plus tard, l’ANC reviendra sur ses déclarations initiales, invitant Agbéyomé Kodjo à fournir les résultats en sa possession avant de lui apporter le soutien nécessaire. Même si le parti de Jean-Pierre Fabre continue de contester les chiffres officiels. 

Foncièrement contre les élections dans les conditions actuelles, Tikpi Atchadam et sa formation politique, le Parti national panafricain (PNP) continuent de soutenir que les élections ne constituent pas la solution au problème togolais. Me Atchadam a fait remarquer que les élections permettent juste de légitimer le « dictateur ». Au sujet de la présidentielle de 2020 et des élections antérieures, il avait indiqué que les vainqueurs sont généralement classés 2e. L’opposant en exil depuis octobre 2017 continue de prôner une « transition sans Faure Gnassingbé devant permettre d’opérer les réformes politiques et électorales nécessaires avant l’organisation de tout scrutin ».

Terrain politique verrouillé 

En plus de cette division sur la stratégie de lutte et sur les approches à adopter, on remarque également des attaques par medias interposés et sur les réseaux sociaux entre acteurs politiques ou entre militants d’opposition.

Déjà victime de ses conflits internes, l’opposition togolaise est également confrontée à plusieurs autres difficultés. Le pouvoir togolais qui continue de s’enraciner a complètement cadenassé le terrain politique. Depuis la dernière élection présidentielle, il est quasiment impossible de tenir une manifestation politique. Toute demande étant systématiquement refusée alors que le pays a opté pour un régime déclaratif en ce qui concerne les manifestations et réunions publiques.

Le pouvoir togolais l’a plusieurs fois déclaré : il ne sera plus question de laisser une faille pour un autre soulèvement populaire comme celui du 19 août 2017. Ainsi, le régime UNIR continue de prendre des dispositions pour museler l’opposition. Pour la première fois dans l’histoire politique du pays, le pouvoir avait mis à contribution la justice pour interdire aux opposants la contestation des résultats de l’élection présidentielle de février 2020. Le doyen des juges d’instruction du tribunal de Lomé a interdit aux leaders de la Dynamique Mgr Kpodzro de parler de l’issue de l’élection présidentielle sous peine d’emprisonnement. 

Convoqué une nouvelle fois fin juillet 2020, pour n’avoir pas respecté cette interdiction, Agbeyome Kodjo, qui s’estime Président élu à l’issue du scrutin, avait été contraint de prendre le chemin de l’exil. 

Mgr Kpodzro et son assistant Marc Mondji avaient également quitté le Togo pour s’établir au Ghana, d’où ils viennent d’être exfiltrés pour Stockholm.

Plusieurs militants de la DMK avaient été jetés en prison. De même que des militaires soupçonnés proches de l’ancien Premier ministre dont le Colonel Amblesso. Prophète Esaïe Dekpo également proche d’Agbeyome Kodjo avait été arrêté en octobre 2020. L’homme de Dieu croupit actuellement en prison pour avoir donné une prophétie en faveur du candidat de la DMK. 

En novembre 2020, Gérard Djossou et Brigitte Adjamagbo-Johnson avaient été arrêtés et accusés de tentative de coup d’Etat pour avoir appelé à des manifestations de rue. Ils ne seront libérés que plusieurs semaines plus tard.

Le 29 avril dernier, Djimon Oré, président du parti Front des patriotes pour la démocratie (FPD) a lui aussi été arrêté et détenu pour des opinions exprimées sur les médias. Les déclarations de l’ancien ministre de la communication sont qualifiées d’outrages aux autorités et de tentative de troubles aggravés à l’ordre public. 

C'est dans ce contexte que se préparent actuellement les prochaines élections régionales. Pour mieux préparer cette échéance, le gouvernement a mis en place un cadre de discussion dénommé Concertation Nationale entre Acteurs Politiques (CNAP). Des questions liées aux élections prochaines sont discutées. Mais la DMK, l’organisation soutenant Agbeyome Kodjo n’a jamais pris part aux travaux. Le PNP de Tikpi Atchadam n’est pas membre non plus. Pendant que le Comité d’action pour le renouveau (CAR) a claqué la porte, dénonçant un cadre non inclusif. L’ANC quant à elle prenait part aux travaux jusqu’au 26 avril dernier où Jean-Pierre Fabre, son président a commencé à émettre des réserves sur un certain nombre de méthodes déployées par le pouvoir.

Pendant ce temps, le pari au pouvoir a investi le terrain, battant indirectement campagne à travers la centaine de maires et le millier de conseillers municipaux issus de ses rangs. Faure Gnassingbé pourra ainsi faire une nouvelle rafle en vue de prendre le contrôle du Sénat. 

Didier Assogba, Lomé, Oiel d'Afrique



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